Point de vue de la CEDH :
En ce qui concerne plus précisément le sadomasochisme, la Cour Européene des Droits de l'Homme offre un panel assez conséquent d’arrêts qui lui a permis de préciser les limites de cette tolérance au respect de la vie privé :
Dans un premier arrêt Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni du 19 février 1997, la Cour a dû statuer sur la conformité de la condamnation de plusieurs hommes homosexuels, adeptes du sadomasochisme, et dont les pratiques filmées avaient été découvertes par la police. Le ministère public avait alors inculpé les principaux intéressés pour raisons de coups et blessures, et ce, sans qu’il y ait eu de dérapage particulier. C’est donc précisément la part sadique du sadomasochisme qui a été visée ici en tant qu’elle correspond à des actes réprimés par le droit pénal.La Cour de Strasbourg a confirmé la condamnation, et ce malgré l’existence du consentement des participants, l’existence et le respect d’un signal d’arrêt des pratiques, et l’absence de dérapages. Elle a considéré que cette ingérence dans la vie privée des personnes condamnées par la justice britannique était « nécessaire dans une société démocratique à la protection de la santé au sens de l’article 8 §2 de la Convention.» La jurisprudence établie par cet arrêt a cependant été abandonnée par la suite, dans la mesure où la Cour avait précisé, assez dangereusement, que cet arrêt, qui n’y faisait pas référence, ne remettait pas en cause le « droit de l’Etat de chercher à détourner de l’accomplissement de tels actes au nom de la morale ». Evoquer la morale pour un potentiel encadrement de la vie sexuelle des individus, a en effet été un choix particulièrement maladroit.
C’est ensuite avec « la notion d’autonomie personnelle » découverte dans son arrêt Pretty c. Royaume Uni du 29 juillet 2002 et qui découle du droit à la vie privée, que la CEDH viendra compléter les concepts juridiques encadrant la vie des personnes. Cette notion correspond à « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend. Il peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne ». Elle est importante, dans la mesure où elle servira de base, dans un arrêt visant directement des pratiques sadomasochistes, à réparer les imprudences de l’arrêt Laskey. La Cour a ainsi énoncé dans l’arrêt KA et AD c. Belgique du 17 février 2005 que « le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle ». Exit les craintes d’une « définition de la morale sexuelle par l’Etat ».
Dans le cas belge, il s’agissait de trois personnes majeures – deux hommes et l’épouse de l’un d’eux, hétérosexuelles, et qui s’adonnaient à des pratiques sadomasochistes. Ces pratiques ayant évolué de manière crescendo, avec au départ la fréquentation d’un club SM puis, dans la mesure où certaines de leurs pratiques étaient interdites par le règlement de ce club, la continuation de celles-ci dans une pièce de leur domicile aménagée à cet effet. En fait, c’est suite à une enquête concernant ce club, étendue à leur cas précis, que les deux hommes ont été poursuivis devant la justice belge et condamnés en première instance, en appel et devant la Cour de cassation. Ils ont fait appel de leur cas devant la CEDH, arguant du fait que cette condamnation allait à l’encontre notamment de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit un droit à la vie privée et une obligation de nécessité et de législation en ce qui concerne les ingérences des pouvoirs publics dans celle-ci.
Les spécificités de ce cas ont permis de clarifier la jurisprudence de la CEDH en matière sexuelle. En effet, les vidéos des pratiques SM analysées par l’enquête ont permis d’identifier qu’il ne s’agissait pas de pratiques du même ordre que celles vues dans l’arrêt Laskey. Ici, les deux hommes poursuivaient les actes sadiques bien après que la femme eût envoyé le signal d’arrêt convenu –les mots « pitié » ou « stop » ; il s’agissait donc ici de « sadisme à l’état brut » et non pas de sadomasochisme, comme nous l’avons précisé en introduction. Partant de cette distinction, la CEDH a confirmé la condamnation et a affirmé que :
Il en résulte que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre arbitre des individus. Il faut dès lors qu’il existe des « raisons particulièrement graves » pour que soit justifiée, aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité.